Avant que, par la colonisation, ne vienne chez nous, l’école étrangère classique, on avait une ancienne école conçue pour vulgariser l’Islam sur le continent : l’école coranique. Elle avait alors fonctionné tant bien que mal et dans ce parcours, on remarquera et déplorera une évolution négative de cette école.
Instrument de formation et d’éducation des enfants, l’école coranique jouait, jadis, un rôle strictement religieux. L’enfant apprenait la parole de Dieu et corrélativement un certain savoir-être et un certain savoir-vivre. Les marabouts étaient alors des érudits pour qui l’enseignement coranique était l’essence de leur vie. Ils servaient Dieu, la religion et leur société en transmettant aux enfants la sagesse et la foi qui doivent déterminer le comportement futur de l’homme dans son milieu. On le voit d’ailleurs chez C. Hamidou Kane dans l’aventure ambiguë. En effet la sévérité du maître Thierno en face de son disciple Samba Diallo n’est que l’expression d’une rigueur par laquelle l’homme veut réussir à construire une élite religieuse.
Aujourd’hui, hélas, nous ne pouvons que remarquer dans certains milieux une dérive de cette école qui continue, en cette ère de troisième millénaire, d’évoluer dans l’informel. Cette situation gravissime n’a pas empêché des parents de préférer cette école à celle dite occidentale ou étrangère (toutes les deux ne sont-elles pas des écoles étrangères ?). Pourtant, au lieu de leur revenir formés et sages, le plus souvent, bon nombre de garçons deviennent abrutis, plus aptes à rentrer dans la pègre que dans la société civilisée. C’est dire que cette école ancienne, dans les conditions actuelles de sa gestion, est condamnable et que des réformes s'imposent.
Il est de notoriété publique que l’école coranique formalise presque l’exploitation des enfants. Ce n’est plus leur instruction qui est prioritaire chez beaucoup de marabouts. On voit leurs élèves qui, mal fagotés, défient le froid, ou pieds nus affrontent la canicule et la terre ardente de mai, pour chercher, une vielle tasse à la main, leur pitance au milieu de ces « Armadjirbaras » plaintifs.
C’est une vie difficile et, à voir les conditions précaires dans lesquelles ces enfants évoluent, il va sans dire que certains parents renoncent à y envoyer leurs progénitures. Pour apprendre et pour aimer Dieu, a-t-on besoin de souffrir ? Pis, quand on voit la qualité de la nourriture qu’ils gagnent et qu’ils mangent, un mélange de tout et de rien, on est en droit de craindre pour leur santé. Ce sont des grands pèlerins de la faim qui, dans leur voyage pédestre, souvent du Mali au Niger, passent de village en village pour aller chercher le savoir (?).
Pauvres petits garçons frêles aux pieds fragiles ! Ils sont envoyés par les parents pour chercher le savoir et ils voyagent ! C’est l’exemple de cet enfant qui nous dit qu’il vient du Mali avec son marabout Mohamed pour la première fois à Tillabéri. Un autre nous confie qu’il vient de Fandou (Damana) et qu’il était venu déjà, d’autres fois, à Tillabéri. Ils précisent qu’ils y restent jusqu’à l’approche de la saison des pluies pour retourner dans leur village cultiver la terre (en fait les champs du marabout !). Ils ajoutent également que certains de leurs condisciples leur arrachent les sous que leur donnent leurs parents, les repas qu’on leur donne, d’autres les frappent. Certains prennent de la dissolution pour se droguer. Souvent ces derniers, indiquent-ils, ne dorment pas avec eux, ils sont dans la rue ou dans les gares.
La vie des talibés est un enfer. Nous trouvons dommage que cette école de Dieu vienne légaliser la mendicité, alors que la religion elle-même au nom de laquelle elle se fait, l'a proscrit. Il arrive que ces enfants qui font pitié deviennent encombrants pour la société. Ils passent tous en file indienne à la porte de toutes les maisons avec des phrases du Coran pour toucher notre pitié et nous arracher un peu de notre repas. Pour nous il est évident qu’une société ne peut pas évoluer avec de tels comportements.
Nous avons interrogé un marabout qui, vraisemblablement n’a pas voulu nous « ouvrir son cœur ». Il s’est contenté de nous dire vaguement qu’il n’a aucun problème pour le moment. Et comme pour se racheter, nous a dit qu’il y avait quelques années, des talibés qui dormaient dans la rue l'avaient quitté sans l’informer. La fumée, c’est le signe du feu. Les enfants ne peuvent pas l'avoir abandonné sans raison.
Par contre, ce que nous savons par nos investigations et qu’on ne peut pas courageusement nous dire, c’est que ces enfants sont exploités par certains maîtres. Ils travaillent et mendient au profit de ceux-ci. Il semble d’ailleurs qu’à Tillabéri pour travailler facilement et à moindre frais votre parcelle de riz, il vous suffit de donner une certaine somme au marabout qui enverra ses talibés dans votre champ. Ce sont eux qui travaillent, c’est l’autre qui en tire profit ! Vive la vie !