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lundi 20 décembre 2010

L’AFRIQUE NOIRE EST-ELLE MAUDITE ? MOUSSA KONATÉ (Ed. Fayard)

Dès la préface, Erik Orsenna pose la problématique de ce livre : Pourquoi l’Afrique Noire, riche de cultures, d’espace et de ressources naturelles tarde t-elle à entrer dans le développement, surtout si on la compare à l’Asie ? Pourquoi tant de corruption, de dirigeants dictateurs et pilleurs des richesses nationales ? Pourquoi tant de guerres locales ? Pourquoi tant de maux ?

L’auteur lui-même malien, répond, dès le début de son ouvrage : Le problème de l’Afrique n’est pas celui du continent mais celui des sociétés africaines. C’est dans l’étude précise et méthodique des valeurs traditionnelles qui sont le fondement de la société africaine et des dérives de celles-ci qu’il voit la principale cause des problèmes de développement. Il a conscience qu’en s’attaquant à la société africaine, il donne des armes aux racistes mais pense que cette critique, telle qu’il la conduit, est salutaire pour que l’Afrique avance et sorte justement des clichés racistes.

Il ne nie pas les grandes causes que sont l’esclavagisme et la colonisation mais les présente de façon un peu nouvelle pour un écrivain africain en dénonçant le silence des auteurs noirs sur la responsabilité des grandes familles royales africaines qui ont bénéficié de la traite des esclaves, sur le rôle des négriers arabes qui ont précédé le commerce triangulaire dominé par les occidentaux. Il insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu de « colonisation positive » en Afrique Noire (routes, hôpitaux etc ont été construits par le travail forcé de milliers d’Africains) et que la souffrance de l’occupation coloniale est encore très présente dans les mémoires villageoises. La colonisation a eu comme conséquences néfastes sur la société africaine de renforcer les rivalités entre ethnies et tribus manipulées par le colonisateur, et l’école à l’européenne a fait disparaître le message des ancêtres en lui substituant le « savoir blanc ». Humiliés, convaincus de l’infériorité de leurs cultures, les Africains ont fini par intégrer les stéréotypes sur l’Afrique. La société africaine s’est alors repliée sur elle-même et sur ses valeurs ancestrales. Les élites qui sont allées à l’école européenne ont assimilé le modèle occidental (savoir, modernisme) tout en conservant pour leur vie personnelle le modèle ancestral.En tête de ces valeurs, servant de moteur à la société noire africaine, se trouve le Pacte de Solidarité : Chaque individu appartient à une sorte de chaîne sociale qui perpétue le pacte originel le liant à ses ancêtres, à ses parents et alliés. De la naissance à la mort, chaque être humain doit tout à la famille et à ses alliés. L’enfant est protégé, pris en charge par l’ensemble de la famille et la personne âgée est respectée comme représentant l’ultime étape du cycle de l’individu, le référant des ancêtres. « Celui qui a reçu donnera à son tour », tel est le principe de base de cette solidarité. Cela entraîne des obligations comme d’ouvrir sa maison et sa table aux parents et alliés, d’aider ceux qui en ont besoin. Les crèches et les maisons de retraite s’avèrent inutiles dans ce système. L’individu isolé n’existe pas, la convivialité règne entre parents, voisins etc (d’où le succés des téléphones portables en Afrique)…Le mariage ne peut s’inscrire que comme la perpétuation de ce pacte de solidarité, arrangé pour souder le groupe familial. Pour résumer, nous dirons que l’individu n’existe que dans le groupe (famille, tribu, ethnie) et le groupe a le devoir de se défendre. Se soumettre au pacte familial entraîne la bénédiction sur sa vie et sur celle de ses proches, rebelle au pacte, on est marginalisé et en proie à la malédiction. L’importance de la sorcellerie vient de ce rapport à l’irrationnel qui met de la malédiction partout. On va chez le marabout pour s’en prémunir.

L’auteur s’attache aussi à analyser deux caractéristiques de la société africaine traditionnelle, pour les dénoncer d’ailleurs de façon vigoureuse, le statut inférieur de la femme et les castes.

La polygamie et les mutilations sexuelles subies par les femmes ne sont pour lui que l’expression de la volonté de domination masculine. Les femmes sont perçues comme d’éternelles mineures, dépendant du père, du mari, des fils….La polygamie comme l’excision empêchent toute relation sincère entre un homme et une femme, entretiennent rancunes et tensions, jalousies au sein des familles. L’argent ou les conditions matérielles sont les seuls liens des couples (importance des dots). L’auteur dénonce de même la société de castes, chacun ayant par son ancêtre lointain un rôle, une profession attribuée. Le nom de chacun sert de carte d’identité pour repérer le noble, le griot ou le tisserand. Par ce système, toute initiative individuelle, tout esprit créatif, se trouvent écrasés et l’on voit sans étonnement ceux des castes nobles devenir dirigeants. La société en est figée et limitée par une foule d’interdits. Et les interdits, respectés car ancestraux renforcent le pouvoir des castes.

L’auteur montre ensuite comment les dévoiements et les dérives des valeurs traditionnelles sont responsables d’une grande partie des problèmes de l’Afrique noire actuelle

Repliée sur elle-même et ses valeurs ancestrales dans une posture de résistance face au colonialisme, la société africaine s’est sclérosée et dévoyée. L’accès à l’Indépendance n’a rien changé. Un nouveau pacte a été conclu entre élites au pouvoir et ex-colonisateurs pour la gouvernance des états mais le pacte familial ancestral régit toujours la société. Or c’est ce dernier pacte qui s’est déformé et dévoyé. La solidarité et la convivialité originelles ont engendré la corruption, la paresse et le parasitisme. Ainsi, la notion de famille se confond avec celle d’Etat, ce qui entraîne le népotisme, le clientélisme et le tribalisme. La fonction publique, héritage occidental et colonial, se privatise. L’auteur donne deux exemples très concrets en ce qui concerne l’espace public : les rues, les places, dans les villes africaines, sont sales, des dépotoirs à ciel ouvert. Elles contrastent avec la propreté de l’intérieur des concessions où vivent les familles tout simplement parce que la notion de « public » n’a aucune réalité pour un Africain alors que la « famille » lui sert de référence constante.

De même, dans un bus, le contrôleur ne pourra pas faire payer un ticket à un parent sans encourir la colère de ce dernier qui le maudira…On comprend alors que le favoritisme règne partout. Quand on parle de la corruption des partis politiques africains, il faut mettre cela en relation avec le fait qu’un parti c’est avant tout une famille, une tribu, une ethnie et que la solidarité entre les membres du groupe est plus importante que tout. La convivialité, le fait de se retrouver pour tous les évènements de la vie, entraîne les désirs de « paraître », l’importance accordée aux vêtements (la Sape au Congo). Ajoutée au devoir de solidarité, elle conduit tout droit au parasitisme de groupes entiers d’individus qui attendent l’aide de plus fortunés qu’eux ou réputés comme tels. Toute initiative, tout esprit d’entreprise s’en trouvent empêchés. On embauche des incompétents parce que ce sont des parents. Les élites africaines, pour échapper à la pression familiale, qui ne cesse de demander de l’aide, préfèrent s’exiler. Même les Africains, qui quittent leur village en risquant mille fois leur vie et qui travaillent pour de pauvres salaires en Europe, ne peuvent se soustraire à la règle d’envoyer les trois quarts de ce qu’ils gagnent à leur famille.

Alors quelles sont les solutions préconisées par l’auteur ? Moussa Konaté veut adapter les valeurs traditionnelles de la société africaine, les faire évoluer vers un certain modernisme.

La première réforme est de permettre à l’individu d’affirmer sa liberté, de le débarrasser du « carcan » des interdits et des habitudes qui se disent ancestraux mais qui en sont des dérives. La garantie des libertés, une répartition plus équitable des richesses, un état- providence, notions héritées des démocraties occidentales, feront des états africains des états modernes. Du patrimoine ancestral, il en conserve une forme d’humanisme avec les principes fondamentaux de solidarité, respect de la vieillesse, protection de l’enfant, détachement des biens matériels. Cet humanisme doit être enseigné dans des écoles entièrement réformées. Il ne veut plus ni des écoles traditionnelles africaines où l’enfant est réduit à répéter à l’infini des préceptes, empêché de s’exprimer, soumis entièrement à la loi des ancêtres, (seules activités permises étant le sport et la danse…) ni des écoles à l’occidental qui ont été réservées à une minorité et enseignent dans la langue des colonisateurs. L’école modèle doit réconcilier la formation moderne de l’individu et les valeurs ancestrales. Enfin, il faut enseigner dans les langues locales si on veut toucher la masse paysanne. Les langues africaines représentent l’âme du peuple et seront le véhicule indispensable de la réforme. Pas de démocraties possibles sans expression dans les langues locales.

C’est donc à toute une réforme de la société africaine que l’auteur aspire : où la liberté individuelle et le travail auront leur place, où le savoir sera démocratisé, où les castes seront abolies, où les femmes seront les égales des hommes mais où se maintiendra la solidarité familiale et où on inventera une nouvelle solidarité, la solidarité nationale.

Un livre qui invite à repenser notre analyse des maux de l'Afrique, l'appui au développement, les échanges, ….

Marie-Claire Roux

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